[...] Nous arrivâmes au salon à quinze heures quarante et je me séparai de mon père en lui promettant de lui téléphoner quand j’aurais fini. Je me dirigeai vers la cafeteria pour voir si Sophie y était déjà. Ne la trouvant pas, je décidai de flâner un peu entre les livres pour lui laisser le temps d’arriver. Quand j’y retournai, une dizaine de minutes plus tard, je la vis assise à une table, seule. Alors que j’allais vers elle, elle m’aperçut et me sourit, je lui fis un signe de la main. En arrivant a sa hauteur, je lui dis : « Bonjour, ça va ?
-Très bien, et toi comment vas-tu ?
-Tout va bien, merci…J’adore l’ambiance ici ! Je me sens tellement bien entourée de tous ces livres…
-Moi aussi ! Depuis ma plus tendre enfance je baigne dans le monde des livres et je ne m’en lasse pas !
-Ah oui, votre père est éditeur si je ne me trompe pas…
-Non, tu ne te trompes pas, et tu peux me tutoyer ! J’ai toujours vécu à Paris, pas loin de Saint-Germain-des-Prés. Les maisons d’éditions, les librairies, les cafés littéraires, tout ça fait partie de mon quotidien.
-J’ai toujours rêvé de visiter Paris et le monde littéraire. Mes parents sont tous les deux très loin de ce domaine : ma mère est architecte et mon père pharmacien. Ils aiment bien lire comme toute leur génération, mais c’est juste une occupation pour eux, ça s’arrête la. Ils n’ont pas cette passion que j’ai pour la littérature donc n’y accordent aucune importance. Ils pensent que c’est juste une phase mais cet amour des livres baigne en moi depuis mon plus jeune âge. Depuis des années, je rêve de Paris, de ses petits cafés remplis d’intellectuels, de philosophes, de penseurs, de pouvoir côtoyer tout ce monde !
-Tu idéalises trop ! Ce n’est pas tellement rempli d’intellectuels ! On en rencontre de temps en temps, c’est vrai, mais de moins en moins aujourd’hui. Par contre, dans les années 50-60, d’après mon père, ils étaient partout. Moi, je n’étais pas encore née…
-Oui, c’est surtout le Paris des années 60 que j’aurais aimé connaître. Mais c’est toujours une capitale littéraire ! J’aimerais tellement avoir l’occasion d’y aller ! »
La conversation continua ainsi pendant quelques minutes, puis dériva vers nos centres d’intérêts respectifs. Moi qui avais tant de mal à faire confiance aux gens, je m’ouvris à elle avec une facilité déconcertante. Elle dégageait quelque chose qui me mettait à l’aise, quelque chose que je n’avais jamais ressenti chez personne auparavant. J’avais toujours été d’un naturel méfiant et distant, mais avec elle, j’étais une autre personne, je ne me reconnaissais même plus. Nous passâmes deux heures à discuter ainsi, à dix-sept heures, elle dut s’en aller. Elle me donna son numéro de téléphone, je lui donnai le mien et nous décidâmes de nous revoir au courant de la semaine suivante, elle me contacterait pour confirmer. Une fois qu’elle fut partie, j’appelai mon père pour le prévenir que j’étais prête à partir quand il le voulait puis j’allai le retrouver pour rentrer.
            Une fois rentrée, je fis un bilan de mon après-midi passé avec Sophie. J’étais heureuse, heureuse comme je ne l’avais jamais été. Je trépignais d’impatience à l’idée de la revoir et pourtant, chez moi, je ne laissais rien paraître de ce bonheur qui occupait mon esprit jour et nuit. Alors qu’à l’intérieur de moi-même je me sentais complètement différente, mes parents ignoraient tout de cette rencontre qui avait donné un sens nouveau à ma vie. Je passai mon dimanche à bouquiner et à méditer dans ma chambre et ne sortis que malgré moi parce que nous devions aller déjeuner avec mes tantes et leurs enfants, comme tous les dimanches. Je ne fis rien de plus le lundi, à part peut-être quelques exercices de math et ainsi de suite jusqu’au jeudi.
            Ce jeudi-là donc, en début d’après-midi, j’étais installée devant mon ordinateur lorsque mon téléphone se mit à sonner. Je me précipitai pour répondre, comme je l’avais fait toutes les autres fois où il avait sonné cette semaine-là. En le prenant, je lus le numéro sur l’écran et mon cœur se mit à battre à une vitesse inimaginable quand je vis s’afficher le nom de Sophie. J’essayai de me calmer en vitesse et répondis en faisant tout pour paraître détendue. Nous nous mîmes d’accord pour déjeuner ensemble le lendemain dans un petit restaurant près de chez moi.
            Notre déjeuner se passa merveilleusement bien, tout comme s’était passée notre rencontre précédente et nous décidâmes de nous revoir régulièrement. Nous nous retrouvions ainsi toutes les semaines ou toutes les deux semaines. Au fil de ces rendez-vous, nous nous rapprochions de plus en plus. J’adorais me confier à elle qui m’écoutait et me conseillait toujours. Bientôt, elle savait tout de moi et je savais tout d’elle. Chacune de nous étant fille unique, nous faisions office de sœurs l’une pour l’autre. Sophie avait apporté dans ma vie un bonheur que je n’avais jamais connu auparavant. Avec elle, je pouvais enfin être moi-même sans être sans arrêt critiquée, sans que personne ne conteste mes choix. Je me sentais bien dans ma peau et reprenais confiance en moi. Au lycée, mes professeurs s’étonnaient de me voir de plus en plus prendre la parole en cours et m’affirmer dans la classe, ce qu’ils me suppliaient de faire depuis de nombreuses années. A la maison, ma mère s’étonnait de me voir beaucoup moins obnubilée par mes livres et mon père s’étonnait de me voir lui raconter mes journées sans qu’il n’ait besoin de me poser aucune question. J’avais changé et ça se voyait, mais tout le monde ignorait la raison de ce changement. Sophie avait une influence énorme sur moi, sur ma vision du monde, sur ma façon de penser. J’étais d’habitude très têtue, mais avec elle, c’était différent, elle était la seule personne au monde capable de me faire changer d’avis. C’était vers elle que je me tournais dès que j’avais besoin d’un conseil. Elle avait réussi à me convaincre que la vie culturelle de ma ville n’était pas aussi morte que je ne le croyais en m’emmenant voir des pièces de théâtre, des expositions, des festivals…  
            Un an était passé depuis notre première rencontre lorsqu’elle m’annonça cette nouvelle si inattendue. Nous étions seules chez moi à parler de tout et de rien comme à notre habitude. Sophie ne laissait rien paraître, que ce soit dans ses paroles ou dans son comportement. Je ne me doutais de rien et elle ne prit même pas la peine de me préparer au choc qui m’attendait. Elle me dit, le plus naturellement du monde : « Nagham, je retourne en France. ». Je ne la crus pas. Je ne voulais pas la croire. Je la regardais avec des yeux de merlan-frit, incapable de prononcer un mot pendant quelques minutes ou quelques secondes. Finalement, croyant à une blague, ou essayant de me convaincre que c’en était une, j’éclatai de ce rire qu’elle trouvait si communicatif. Elle ne rit pas. Je compris alors qu’elle ne blaguait pas, qu’elle retournait vraiment en France. Je la fixais incrédule, incapable de prononcer la moindre parole. Enfin, je trouvai la force de lui dire : « Tu ne peux pas. ». Elle crut à son tour à une blague. J’insistai : « Tu ne peux pas me laisser seule, Sophie ! 
-Tu n’es pas seule ! Toute ta vie est ici !
-J’ai besoin de toi !
-Tu n’as besoin de personne, tu es la personne la plus forte que je connaisse.
-Tu vas horriblement me manquer.
-Je pars le 19, dans deux semaines. Je dois rentrer maintenant, je t’appellerai. »
            Elle m’appela plusieurs fois mais j’ignorai tous ses appels. Je ne voulais ni la voir ni l’entendre, je ne me sentais pas le courage de me retrouver face à elle en sachant qu’elle allait partir. Je passai la semaine à broyer du noir en pensant à tous les moments merveilleux que j’avais passés avec elle. Elle était ma meilleure amie, la seule personne avec laquelle je me sentais vraiment bien et elle ne pouvait pas partir comme ça. Après plus d’une semaine passée à ressasser mes idées noires, je décidai que je devais revoir Sophie une dernière fois. Je lui téléphonai donc et m’excusai de ne pas avoir répondu à ses appels les jours précédents. Nous décidâmes de nous voir le lendemain, le jour de son départ, chez moi.
            Lorsqu’elle arriva, je l’accueillis comme si de rien n’était et nous nous installâmes au salon dans un silence de mort. Je n’étais pas d’humeur à faire la conversation, ni à Sophie ni à qui que ce soit. Après quelques minutes de silence, elle me dit : «Nagham, je suis vraiment désolée de partir comme ça… » et elle m’expliqua que son père était gravement malade depuis quelques temps et qu’elle devait être à ses côtés. Je m’en voulais horriblement d’avoir été si égoïste, de n’avoir pensé qu’à moi-même durant tout ce temps : Comment est-ce que j’allais survivre, MOI, sans elle ? Pourquoi ne voulait-elle pas rester avec MOI ? Avais-JE fait quelque chose de mal pour la pousser à partir ? Pas une seconde je n’avais pensé que Sophie avait peut-être de bonnes raisons de partir, qu’elle avait une famille là-bas, que d’autres avaient peut-être besoin d’elle autant, ou même plus, que moi. Pas une seconde je n’avais pensé que toute sa vie était et avait toujours été  là-bas…
            Je la serrai dans mes bras en lui soufflant : « Pars, je me débrouillerai… » . Elle m’embrassa et, en se dirigeant vers la porte, m’adressa ses dernières paroles : « Bientôt, je reviens te chercher… ».

[...] Ce soir-là, à table, je racontai à mes parents que j’avais rencontré une femme particulièrement intéressante. Ce n’est qu’au moment où je vis une expression de mécontentement se dessiner sur le visage de ma mère que je réalisai que j’avais commis une erreur que je ne me pardonnerai jamais. A peine avais-je ouvert la bouche qu’elle avait compris que je n’étais pas allée aider un camarade, comme je l’avais prétexté, mais bien trainer au salon du livre. Elle n’avait rien contre le salon, loin de là, c’était même un événement qu’elle trouvait très bénéfique. Ce qui la dérangeait plutôt, c’était le fait que j’y passe tout mon temps libre. Ma mère aimait bien la littérature, tout comme mon père, c’était d’ailleurs eux qui m’avaient transmis cet amour. Ce qu’elle ne comprenait pas, c’était que ce soit pour moi plus qu’une passion et que je veuille y consacrer ma vie. Comme j’étais très douée pour la chimie et les math, elle considérait que je devais faire des études scientifiques « lourdes » et aspirait à me voir devenir ingénieur ou médecin. Malheureusement pour elle, j’étais bien décidée à m’engager dans les lettres, et c’était loin des ambitions qu’elle avait pour moi. Mon père ne disait rien et ça m’arrangeait. Je savais bien qu’il aurait préféré que j’eusse choisi la voie scientifique, mais il n’essayait pas pour autant de me dissuader de faire ce qui me plaisait. Ma mère me lança donc un regard extrêmement désapprobateur et s’apprêtait à me sermonner quand il intervint en me demandant : « Et qui est donc cette personne si intéressante ?
- Un écrivain, Sophie Lux, je l’ai rencontrée au salon du livre cet après-midi. Elle m’a dédicacé son roman, que je viens de commencer, magnifique. On a parlé pendant un moment, elle est vraiment adorable ! »
Mon père sourit, il était content de me voir, pour une fois, entrer en contact avec quelqu’un, même si cette personne avait le double de mon âge. Ma mère, au contraire, n’avait pas l’air si enthousiaste mais au moins, elle n’avait pas fait de remarque désagréable. Nous finassâmes de manger en silence et je retournai dans ma chambre. J’ouvris le livre pour relire la dédicace, elle avait écrit : « A Nagham, ça m’a fait très plaisir de faire ta connaissance aujourd’hui. A bientôt j’espère. Affectueusement, Sophie. ». Je remarquai alors qu’elle avait rajouté, en dessous de sa signature, une adresse e-mail qui, supposai-je, était la sienne. Je jubilais. Je ne savais presque rien de cette femme, et pourtant, je ne m’étais jamais sentie aussi proche de qui que ce soit de ma vie. Je n’avais qu’une envie : la revoir au plus vite.
Je passai la majeure partie de mon vendredi plongée dans son roman, qui me passionnait. Une fois que je l’eus terminé, je décidai de lui envoyer un message pour la remercier, d’abord pour le très bon moment qu’elle m’avait fait passé la veille et, ensuite, pour le plaisir que m’avait procuré la lecture de son livre. Je dus réécrire mon message au moins une dizaine de fois pour arriver enfin à un résultat que je jugeai susceptible d’être envoyé :
Bonjour, c’est Nagham. Je tenais à vous remercier pour le moment que nous avons passé ensemble hier au salon, ça m’a vraiment fait plaisir de vous connaitre et d’avoir pu vous parler. Merci également pour ce magnifique roman que j’ai dévoré en un temps record. J’aimerais beaucoup avoir la possibilité de vous revoir.
Nagham.
            Une fois le mail envoyé, je m’attelai à mes devoirs sans grande conviction. Je n’y voyais qu’une manière de passer le temps en attendant une réponse de Sophie. Bien entendu, je n’étais aucunement concentrée sur mes innombrables exercices de math et mon esprit vagabondait dans mon monde imaginaire. Dans mon univers, Sophie était déjà comme une grande sœur pour moi, elle me conseillait et me guidait dans mes choix, je lui disais tout et elle ne me cachait rien. Après avoir tenté, en vain, pendant une bonne demi heure de résoudre ces problèmes, je laissai tomber et retournai à mon ordinateur tout en sachant que c’était impossible qu’elle m’ait déjà répondu.  Ma boite de réception était vide et, malgré l’évidence, je fus tout de même déçue.  Je pris alors un livre au hasard sur la pile qui attendait sur ma bibliothèque et me mis à bouquiner. En début de soirée, ne tenant plus en place, je suppliai ma mère de me conduire au salon du livre, à mon grand étonnement, elle accepta sans aucune remarque.
            Au salon, je cherchai avidement Sophie, sans succès. Je finis par acheter quelques livres et rentrer chez moi, déçue. Je passai la soirée plongée dans un roman sans grand intérêt pour oublier cette impatience qui me faisait bouillonner et finis par m’endormir enfin aux alentours de deux heures du matin. Samedi matin, la première chose que je fis en ouvrant les yeux en milieu de matinée, fut d’allumer mon ordinateur pour vérifier si elle m’avait répondu.  Je trouvai dans ma boite de réception, deux messages d’une camarade de classe qui m’importaient peu et un troisième d’un « destinateur inconnu ». Mon cœur martelait ma poitrine alors que j’ouvrais le message. Après une attente interminable due à des problèmes de connexion, le texte s’afficha enfin sur mon écran. Je lus :
Chère Nagham, tu n’imagines pas combien ton message m’a fait plaisir. Moi aussi, j’ai été très heureuse de faire ta connaissance. Je pensais aller au Salon du livre cet après-midi aux alentours de seize heures, nous pourrions nous retrouver là-bas, qu’en penses-tu ?
Bises, Sophie.
            Mon cœur fit un bond lorsque je lus la dernière phrase. Elle voulait me revoir, elle voulait que je la retrouve au Salon le jour-même ! Je lui répondis sans attendre que je serais au rendez-vous et que l’on pourrait se retrouver à la cafeteria. Je savais que ma mère allait râler si je lui demandais de m’accompagner, elle me dirait : « Nagham, tu y es déjà allée deux fois, tu ne crois pas que ça suffit ? ». C’est alors que je me rappelai qu’on était samedi et que mon père ne travaillait pas ce jour-là. Je courus donc le trouver pour lui demander s’il était d’accord pour me déposer au Salon. Il accepta et nous décidâmes de partir après déjeuner.  A quatorze heures, ma mère nous appela pour déjeuner, à quinze heures, nous avions fini, à quinze heure dix minutes, mon père démarrait la voiture. [...]

Nouvelle écrite dans le cadre du Prix du jeune écrivain de langue française 2012
Naï

"Comme il existe des coups de foudre en amour, il y a quelques fois des coups de foudre en amitié."
Guillaume Musso
J’étais dans ma chambre, en ce jeudi gris d’octobre, je pensais à cette vie monotone qu’était la mienne, à tous les changements que j’aurais aimé y apporter. Je pensais à cette pile de livre, ces quarante-deux livres qui attendaient d’être lus, sur ma bibliothèque, ces livres, mes seuls amis, mon unique raison d’exister. Je n’avais jamais été très sociable, et pourtant j’étais très ouverte sur le monde extérieur, je voyageais beaucoup et l’un de mes plus grands plaisirs était de découvrir de nouveaux lieux et de rencontrer de nouvelles personnes. Mais tout ça, c’était dans les livres. En réalité, je n’avais jamais dépassé les frontières de mon pays, le Liban, et les gens qu’on y rencontrait étaient tous les mêmes: inintéressants.
Quand j’étais enfant, mon père m’avait donné un vieil exemplaire du Petit Nicolas dont les personnages étaient devenus mes meilleurs amis et m’avaient suivie jusqu'à l’adolescence. Je partageais les gouters d’Alceste, Rufus me prêtait son sifflet à roulette, Clotaire m’apprenait à faire du vélo, Geoffroy me laissait jouer avec les cadeaux que son père lui offrait, je demandais de l’aide à Agnan pour mes devoirs. Mais celui que je préférais était Nicolas. Il était mon meilleur ami, mon confident, et, bien que ses copains et lui n’acceptent généralement pas de filles dans leur bande, ils m’avaient acceptée parce que « je n’étais pas une pleurnicheuse comme toutes les autres filles ». Mais bien sur, tout ça, c’était dans ma tête…
J’étais donc dans ma chambre ce jour-là, à méditer sur mon passé et à réfléchir à mon avenir. Cet avenir qui se faisait attendre, ma dernière année de lycée, mes études universitaires, ma liberté qui arriverait enfin au moment où j’aurais mon BAC et mon permis de conduire. Cet avenir, si attirant, où je ferais des études de lettres, où je m’évaderais de cette petite ville à la vie culturelle presque morte.
J’étais perdue dans mes pensées quand ma mère débarqua dans ma chambre en criant : « Nagham ! Regarde qui est venu te rendre visite ! » J’aperçus alors derrière elle ma cousine Léa dont je n’appréciais pas particulièrement la compagnie. Je cherchais une excuse pour échapper à ma cousine lorsque je me rappelai que le salon du livre avait commencé la veille et que je n’y avais pas encore mis les pieds, ce qui, pour moi, était un exploit ! Je décidai donc de prétexter un rendez-vous afin de pouvoir me rendre au salon. Je pris un air désolé et dis à ma cousine, en défiant ma mère du regard: « Oh quelle bonne surprise ! Salut Léa ! J’étais sur le point de partir pour un rendez-vous très important. C’est dommage, j’aurais aimé passer du temps avec toi ! Mais ce n’est que partie remise ! » et sortis de ma chambre en vitesse, sans laisser à ma mère le temps de réagir. J’étais déjà sur le palier quand elle me rattrapa et me réprimanda pour le comportement et l’impolitesse dont je faisais preuve à l’égard de ma cousine. J’insistai sur le fait que j’avais promis à un camarade de classe de l’aider à réviser, que ça n’allait pas être un plaisir et que j’aurais cent fois préféré rester chez moi avec Léa, ce qui, bien entendu, était loin de la vérité. Dès que ma mère eut refermé la porte, je sortis mon téléphone afin d’appeler un taxi. En effet, c’était le moyen le plus sûr de se déplacer dans ce pays instable pour une personne non motorisée. Je descendis ensuite l’attendre au bas de l’immeuble. Quelques minutes plus tard, je m’engouffrai dans la voiture qui démarra aussitôt.
Le salon du livre avait toujours été pour moi un événement particulièrement important. Chaque année, je l’attendais religieusement comme d’autres attendaient Noël ou leur anniversaire. Pour moi, c’était le salon. J’aimais me retrouver dans ce grand bâtiment rempli de livres, me promener entre les étagères pleines à craquer, assister à des conférences et des débats, rencontrer des auteurs… C’était ma vision du paradis. Malheureusement, il y avait souvent au salon une grande concentration d’incultes et d’ignorants qui n’y attribuaient qu’une fonction de « show-off » et en profitaient pour s’adonner à leur activité préférée : prétendre d’être cultivés.  Je méprisais ces gens-là mais, après tout, comment leur en vouloir ? La culture c’est comme le beurre, dit-on, moins on en a, plus on l’étale.
 Au bout d’un moment, le taxi s’arrêta devant le salon, me tirant ainsi de ma rêverie. Je réglai la course et entrai dans le bâtiment, retrouvant ce confort familier qui s’emparait de moi dès qu’il était question de livres. A l’entrée, une hôtesse me tendit un exemplaire du programme que je feuilletai dans le but de trouver une conférence intéressante. J’en trouvai une sur les utopies à travers les siècles qui commençait à l’instant et décidai d’y assister. Elle était animée par une certaine Sophie Lux, auteur du roman Demain, qu’elle signerait après la conférence. Lorsque j’entrai dans la salle, il y régnait une atmosphère apaisante. L’intervenante était une jeune femme d’une trentaine d’années à peu près. Elle se tenait debout, très droite, sur l’estrade. Son attitude dégageait une certaine confiance qui me fascina à peine eussè-je posé les yeux sur elle. La conférence commença. Dès les premiers mots, je fus envoûtée par les paroles de la jeune femme et cette sensation ne me quitta pas jusqu'à ce qu’elle eut fini son exposé. Je sortis alors de la salle et me précipitai vers l’endroit où devait avoir lieu la signature de son livre pour avoir une chance de lui parler directement. Quelques personnes m’avaient devancée, aussi je dus faire la queue pendant quelques minutes qui me semblèrent durer une éternité. Lorsque mon tour arriva enfin, je m’avançai vers elle et lui dis : « Votre conférence était magnifique, je voulais juste vous faire savoir que vous êtes mon idole. Merci ! ». Elle me sourit chaleureusement, prit un des livres de la pile posée sur la table à laquelle elle était assise, l’ouvrit à la première page et me demanda à qui elle devait adresser sa dédicace. Je lui révélai mon prénom. Elle écrivit quelques mots et, comme il n’y avait pas beaucoup de monde, elle se permit de me faire la conversation. Elle me demanda mon âge et, quand je lui dis que j’avais dix-sept ans, elle me dit que j’en donnais plus. Elle me questionna également sur ce que je voulais faire plus tard, je lui répondis que j’avais l’intention de faire des études de lettres dans le but de devenir professeur pour tenter de transmettre ma passion de la littérature aux autres. J’appris ainsi qu’elle avait vécu toute sa vie à Paris et que, son père étant éditeur, elle baignait depuis sa plus tendre enfance dans le monde littéraire. Notre conversation dura quelques minutes, jusqu'à ce que je me rende compte que j’aurais dû déjà être chez moi. Je pris le livre, la remerciant du fond du cœur, et m’en allai en vitesse, très heureuse de cette rencontre. [...]

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